L'Abeille et l'Araignée

L'Abeille et l'Araignée


L’araignée au ventre blanc, au ventre rond comme une perle, dînait d’une innocente abeille. La terrible bête, à vrai dire, ne dévorait pas sa proie : elle l’avait saisie par la tête et sans doute paralysée. Elle avait l’air de la boire, d’en pomper toute la substance à longs traits voluptueux.
Je me sentis d’abord sur le point de faire comme Robinson, qui canarde les cannibales pour les empêcher de se tuer en eux. « Misérable ! » dis-je à l’araignée. « Comment as-tu l’audace de t’abandonner sous mes yeux à cette passion dégoûtante ? » « Mon cher monsieur », répondit l’araignée au ventre de perle, « il y a déjà dix minutes que la servante a sonné pour vous appeler à table. Votre gigot sera froid. »
Comme je m’éloignais, déconfit, la bête se prit à rire. Elle criait, l’accent goguenard : « Va donc ! mangeur de grenouilles ! Mangeur de bêtes répugnantes ! Pouah ! Le vilain ! »

Fable de Georges Duhamel

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