Je les ai vus, ces deux Cerisiers...

Je les ai vus, ces deux Cerisiers…


« Comme vous voilà fait, mon cher ! » disait le cerisier stérile à son voisin de verger, le cerisier fécond. « C’est vrai, gronda le bon arbre, je suis bien obligé de reconnaître qu’ils m’ont mal payé de ma peine.
Pendant tout le mois de juin, le prodigue avait donné par milliers ses fruits admirables. Ses membres pendaient, accablés. Ses feuilles jonchaient le sol. Un odieux épouvantail ricanait dans la ramure. Une échelle attestait encore le passage des pillards. Maintes branches brisées offraient, en plein cœur de juillet, la triste image de novembre. L’herbe, alentour, était flétrie, la terre morose et battue.
« Voyez-moi, » fit l’arbre stérile. « Depuis l’origine des temps, j’observe la même prudence et je suis la même conduite. Je ne donne pas quatre cerises. Alors on me laisse en paix. Je suis sain et vigoureux. Mon feuillage n’a pas une tache, mon écorce pas une blessure. A bon entendeur, salut ! Mais taisons-nous, car voici notre maître.
Le maître, en effet, passait, regardant chacun des arbres. « Je vois, dit-il, un cerisier qui ne donne jamais de cerises. Nous finirons par le couper et nous ferons du moins quelque chose de son bois, une armoire ou une huche. »
« Diable ! » dit en tremblant le bon arbre, dès que le maître fut parti, « vous ne croyez pas préférable de prendre un petit peu de peine et de souffrir quelque disgrâce ? Ce que le maître a dit me semble effrayant pour vous. »
« Bah ! Bah ! » répondit l’autre, « ne vous tracassez pas trop. Il dit cela tous les ans. Mais il n’en fera jamais rien. Je suis bien trop nécessaire à l’ordonnance de l’allée.

Fable de Georges Duhamel

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